L'hebdo pour une tech acceptable
Ces dernières semaines, plusieurs de nos célébrations chez Latitudes ont impliqué les réseaux sociaux. Après un temps nécessaire de réflexion, nous avons décidé, comme de nombreux autres collectifs, de quitter X et Facebook. Ce départ nous a collectivement soulagés, et c’est ainsi que nous l’avons célébré. À l’inverse, sur LinkedIn, nous avons passé un joli cap : vous êtes désormais plus de 10 000 à y suivre nos actions. Deux célébrations assez paradoxales, donc. D’un côté, nous nous réjouissons de mettre un terme à notre présence sur deux réseaux sociaux américains, détenus respectivement par Elon Musk et Meta. De l’autre, nous nous réjouissons de notre présence sur un réseau social américain, détenu par Microsoft.
En réalité, ce paradoxe est sans doute un signe supplémentaire que nous vivons la fin d’une époque.
Fin de l’insouciance d’un monde numérique qui serait forcément immatériel, apolitique, progressiste, ouvert et tolérant.
Fin de l’utopie sociale du web 2.0 : rappelons que Mark Zuckerberg annonçait encore en 2017 vouloir « rapprocher le monde », au point de rendre les guerres impossibles.
Fin de l’existence de réseaux sociaux mondialisés où nous pourrions faire culture commune entre différentes générations, cultures, religions, milieux sociaux, pays.
Ce changement d’époque voit son dénouement s’accélérer depuis l’élection de Donald Trump, et la mise au pas des milliardaires de la tech américaine. Or, ce sont eux qui détiennent les grands réseaux sociaux, comme d’autres milliardaires détiennent la presse, et même l’édition (Amazon). La presse, les réseaux sociaux, l’édition : tous ces espaces qui permettaient de penser et de s’informer ont été vampirisés, les propos radicaux et simplistes ont été algorithmiquement amplifiés, la modération a été sabrée, l’IA générative a proliféré. Le problème, comme le prophétisait Hannah Arendt, c’est que « quand tout le monde vous ment en permanence, le résultat n’est pas que vous croyez ces mensonges mais que plus personne ne croit plus rien ». On parle donc bien d’une menace existentielle pour nos démocraties.
C'est la raison pour laquelle nous devons agir.
Alors ce moment peut constituer l’électrochoc nécessaire pour nous amener à penser, à moyen et long terme, notre présence sur les réseaux sociaux numériques. Qu’est-ce qu’un réseau social numérique acceptable : choisi, émancipateur, soutenable écologiquement et socialement ? Avec quelles interfaces, quels mécanismes algorithmiques, quelles fonctionnalités, quelles règles de modération, nous permettent-ils de faire société ensemble ? Il me semble qu’une des clés tient dans la typologie des réseaux sociaux.
La plupart des réseaux sociaux qui se sont imposés (« winner takes all ») présentent le point commun d’être des réseaux phares, selon la typologie proposée par le sociologue Dominique Cardon : des réseaux affinitaires, où l’on suit potentiellement de très nombreuses personnes, sans que ce ne soient des amis ou même des connaissances. Ce type de réseau favorise donc structurellement l’émergence d'influenceurs et d'influenceuses, qui capitalisent plusieurs milliers (millions) de followers. C’est également un réseau qui encourage la valorisation de soi, puisque chaque publication a pour objectif (conscient ou inconscient) de générer de l’engagement. C’est enfin un réseau qui peut devenir une incroyable (et déformée) chambre d’écho, quand il attire à lui deux profils particuliers d'influenceurs : les journalistes et les politiques. Bref, c’est un type de réseau sans limites, sans contraintes, XXL. Et maintenant, avec une conception maximaliste, à l’américaine, de la liberté d’expression.
Alors, peut-être faut-il en 2025, arrêter de construire ou de s’impliquer autant dans des réseaux phares. Réintroduire des limites et de la contrainte. Accepter de ralentir, voire de rapetisser. Remettre la créativité et la curiosité au coeur de nos quotidiens. Nous pouvons inventer d’autres modèles de réseaux sociaux, numériques ou non. Ayons le courage de proposer des contre-modèles européens. Plutôt que de construire des phares, redonnons vie à des bistrots, des salles de conférences, des maisons de quartiers, des parcs publics, ou encore des tiers-lieux. Chez Latitudes, c’est le genre de réflexion que nous portons au sein de notre communauté, mais aussi au travers de nos différents programmes.
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Cette semaine, l’hebdo pour une tech acceptable est signé Louis Derrac (qui nous a d’ailleurs soufflé le nom de cette nouvelle routine 🪶).
Louis a rejoint l'équipe il y a quelques semaines, une vraie chance pour la team Latitudes. "Acteur engagé de l'éducation au numérique, militant d'un numérique acceptable" et véritable plume (on vous invite à découvrir son blog juste ici) mon petit doigt me dit qu'il y a de grandes chances que vous le croisiez à nouveau par ici. ❤️