Dans cet article, on parle de quelques millions de tonnes (vous voyez ce que ça fait déjà, 1 million ?), d'un monsieur nommé Jevons et de serveurs qui fonctionnent à la bouse de vache.
C'est quoi le sujet ?
On parle d'une technologie plus sobre
ou comment maîtriser notre impact environnemental, imaginer des technologies plus respectueuses du vivant et plus économes en énergie.
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Pour aller à l'essentiel
30 secondes de survol
Le numérique est responsable de 4% des émissions mondiales de gaz à effet de serre, et ce chiffre est en augmentation de 9% par an.
Pour fabriquer un équipement électronique, il faut mobiliser quelques centaines de fois son poids en matières premières (200kg pour un smartphone de 200g ou 600kg pour un ordinateur de 2kg par exemple), dont une importante quantité de métaux rares – c'est cette phase de fabrication qui a le plus d'impact.
Avec l'optimisation des techniques, on assiste à ce qu'on appelle un effet rebond : on consomme finalement plus qu'avant, avec des pages plus lourdes, de la vidéo à gogo et beaucoup plus de temps passé en ligne... c'est assez vertigineux !
La bonne nouvelle, c'est qu'en tant qu'entreprise, en tant que concepteur ou conceptrice d'applications et de logiciels, nous pouvons agir : découvrez comment à la fin de cet article.
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Pour assouvir notre curiosité
10 minutes d'exploration
On vous espère en pleine forme, car on commence par se creuser les méninges ! Que diriez-vous d'un petit quiz ? Sans plus attendre, voici la question :
« Qui contribue le plus à l'impact environnemental du numérique ? » parmi...
A. Les serveurs et les data centers
B. Les terminaux (ordinateurs, smartphones, IoT)
C. Les infrastructures (réseau, antennes)
La réponse à cette question... se cache dans cet article !
Où l'on teste notre calcul mental et nos ordres de grandeur
Ce superbe cercle est tiré du MOOC Sensibilisation Numérique Responsable de l'INR
Pour bien comprendre l'impact du numérique sur notre belle planète, il faut faire le tour de la question et l'analyser sur tout son cycle. Rien de tel qu'un petit schéma pour mieux visualiser !
Ici, nous allons nous concentrer sur 3 étapes clés :
1. les matières premières nécessaires à la fabrication des équipements numériques,
2. l'utilisation de ces équipements,
3. et enfin, leur fin de vie.
Parlons matières premières déjà
D'après cet article des Numériques, tiré d'une étude de l'ADEME, il faut 200kg de matières premières pour fabriquer un smartphone de 5,5 pouces. Oui oui, un smartphone comme ceux qui tiennent (encore à peu près) dans notre poche. Et pas n'importe quelles matières premières, puisqu'il s'agit notamment de minerais rares, souvent extraits dans des conditions de travail pour le moins douteuses, quand elles ne sont pas proprement révoltantes.
Or, à chaque seconde, 50 smartphones sont vendus dans le monde. Grâce à une habile multiplication, on en déduit que cela représente chaque année 50 * 60 sec * 60 min * 24 h * 365 j * 200 kg = 300 millions de tonnes de matières premières. 300 millions de tonnes, pour fabriquer des smartphones, chaque année. Si – comme nous – vous avez parfois du mal à imaginer ce que représente une tonne de matière, dites-vous que c'est à peu près le poids d'une voiture (et qu'on produit chaque année 100 millions de voitures dans le monde, ici on parle donc de 3 fois plus de poids).
Quid de la fin de vie ?
En parlant de voitures, accrochez votre ceinture car ce n'est pas fini !
"Maintenant elle va marcher beaucoup moins bien, forcément !" – crédit : Les Films Corona, Le Corniaud
Notre petit smartphone, après sa (courte) vie – en moyenne, toujours selon l'ADEME, les Français et les Françaises changent de smartphone tous les 2 ans – n'aura pas la chance de finir sa vie par un simple retour à la Terre...
En effet, d'après une étude de l'ONU, sur les 50 millions de tonnes de déchets électroniques produites dans le monde chaque année, plus de 80% ne sont même pas collectées pour être recyclées.
Même quand elles le sont, le recyclage de toutes ces pièces soudées ensemble s'avère bien difficile. C'est tout cet impact des phases de fabrication et de fin de vie qui explique que les terminaux électroniques, à la durée de vie bien plus courte que les infrastructures et les data centers, soient ceux qui contribuent le plus à l'impact environnemental du numérique.
Bien joué, le résultat du quiz était bien la réponse B. !
Où l'on explore nos quotidiens numériques
Passons maintenant à l'utilisation de nos chers compagnons technologiques
Pendant cette phase centrale du cycle de vie du numérique (en excluant fabrication et fin de vie donc), nos usages numériques, incluant data centers, terminaux et infrastructures, représentent 7,5% de notre consommation d'électricité (sources : en France, 35 TWh/an pour 470 TWh/an de consommation totale). C'est beaucoup, surtout pour un secteur qui n'existait pas ou presque à la naissance de la plupart d'entre nous !
Essayons de comprendre ce qui a basculé sur ces 10 dernières années.
Nous étions 2 milliards d'utilisateurs et utilisatrices d'internet en 2010, nous en sommes désormais 4 à 5 (milliards, toujours !)
Le temps passé sur le web a été multiplié par 4 entre 2008 et 2018 (avant le Covid-19, donc).
Entre 2010 et 2020, le poids moyen d'une page web est passé de 500Ko à 2000Ko (images moins compressées, composants plus lourds... on aime se régaler de toutes les nouveautés !)
En 2019, la vidéo en ligne représente 60% de la bande passante mondiale.
Ainsi, non seulement nous sommes plus nombreux et nombreuses à utiliser internet (et on ne peut pas s'en plaindre compte tenu de ses intérêts sociaux – enfin c'est un autre sujet !), mais nous y passons également plus de temps, et chaque minute que nous y passons a elle-même plus d'impact qu'il y a 10 ans car nos usages sont bien plus consommateurs.
À retenir pour être calé ou calée sur le sujet
crédit : Les Editions Albert René, Astérix et Cléopâtre
Entre la fabrication, la fin de vie et les usages, on cerne mieux comment le numérique se taille désormais une part de choix dans notre empreinte environnementale globale.
En parlant d'empreinte globale, s'il y avait un seul chiffre à retenir sur notre sujet du jour, ce serait celui-ci : le numérique est responsable de 4% des émissions mondiales de gaz à effet de serre (à ce sujet, toutes les études semblent concorder). Surtout : ce chiffre est en augmentation de 9% par an !
Où l'on cherche à comprendre si c'est vraiment si grave
Après tout, quand on voit le(s) progrès que nous ont apporté(s) les technologies, on est en droit de se dire que tout ceci est un mal pour un bien – et que certains secteurs sont encore pires – et que la tech permet aussi d'éviter certains impacts, donc tout cela doit bien se compenser... Voyons voir.
Commençons par observer les autres secteurs
Savez-vous ce qu'est l'intensité énergétique d'une économie ? Il s'agit d'une mesure de son efficacité énergétique : elle est calculée en divisant sa consommation d'énergie par son PIB. Le rapport « Pour une sobriété numérique » du Shift Project nous apprend que l'intensité énergétique du numérique est en croissance de 4% par an dans le monde, alors que celle de l'économie mondiale baisse actuellement de 1,8% par an : notre cher numérique n'a donc pas un ratio revenus / énergie nécessaire très optimisé !
Les impact positifs du numérique peuvent-ils compenser ce bilan ?
Aucune étude complète à notre connaissance ne dresse un portrait complet du numérique et de ses effets rebonds, pour savoir si sa contribution nette à l'environnement est positive ou non. On peut ici se contenter :
crédit : Editions Dupuis
d'expliquer le concept d'effet rebond, aussi appelé « paradoxe de Jevons » : quand on augmente l’efficacité avec laquelle une ressource est employée, la consommation totale de cette ressource peut augmenter au lieu de diminuer – un bon exemple est celui de l'augmentation drastique du visionnage de vidéos sur le web, permise par l'amélioration des infrastructures et des débits (quand il fallait attendre 2h que notre film en streaming commence à charger, on en regardait un peu moins...) Aujourd'hui, on a peur que toute tentative de rendre le numérique moins énergivore mène finalement à la création de nouveaux usages, qui rendront eux-mêmes le numérique plus consommateur : c'est d'ailleurs l'un des nœuds du débat sur la 5G !
de rappeler les impacts induits par le numérique, qui sont très bien expliqués dans cette présentation de Magelan (pas le navigateur) – au-delà même de l'effet rebond, les technologies ouvrent de nouveaux marchés, et nous poussent parfois à consommer toujours plus, comme cela a été le cas avec l'essor des boutiques en ligne favorisant la consommation de masse d'objets souvent produits à l'autre bout de la planète et livrés juste en bas de chez nous ;
et de constater que la transformation numérique n'a pas encore eu l'impact espéré sur la croissance (car cette bonne vieille croissance reste plus facile à mesurer que l'état de santé de la planète) : d'après le même rapport du Shift, le taux de croissance de la zone OCDE reste stable autour de 2%, alors que la croissance des dépenses numériques est passée de 3% à plus de 5% par an ; si malgré tous les investissements le numérique n'a pas encore permis à la croissance de s'infléchir, permettra-t-il vraiment à la planète de s'en sortir ?
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Pour se mettre en mouvement
7 actions qui peuvent changer la donne
On peut déjà participer à un atelier de la Fresque du Numérique, pour comprendre encore mieux les différents impacts du numérique. Et pour passer directement à l'action, on peut...
1. Réduire notre propre impact et celui de notre entreprise
en suivant les bons conseils de ce petit guide de l'ADEME, La face cachée du numérique, qui donne de nombreuses clés comme :
éviter d'acheter de nouveaux équipements (le meilleur déchet est celui qui n'existe pas !) ou d'acheter du matériel sur-dimensionné pour notre usage,
allonger leur durée de vie (passer de 2 à 4 ans d'usage améliore de 50% l'impact de nos tablettes ou ordinateurs – source ADEME) par exemple en les réparant dans des Repair Café ou auprès d'une entreprise de l'Annuaire de la Réparation, ou bien en les louant (Commown ou Triliz),
si vraiment on doit en acheter, les choisir reconditionnés (auprès d'une entreprise d'insertion comme les Ateliers du Bocage, sur une marketplace comme Yes Yes, Backmarket ou via un service clé en main comme rzilient) et les revaloriser en fin de vie (don au mouvement Emmaüs sur lacollecte.tech ou plein d'options de seconde vie sur Zack).
2. Réduire l'impact pour nos utilisateurs et utilisatrices
en limitant cet impact : moins de services énergivores (vidéo, pubs, tracking) et bonnes pratiques d'éco-conception (115 sont référencées ici et ont même fait l'objet d'un livre),
en choisissant nos solutions d'hébergement avec exigence (découvrez par exemple Datafarm, pour utiliser la méthanisation et offrir un complément de revenu aux agriculteurs et agricultrices ; Qarnot, pour une infrastructure de calcul qui chauffe des bâtiments, ou bien le répertoire d'hébergeurs verts de The Green Web Foundation !)
en disant non à l'obsolescence logicielle, responsable de nombreux achats de matériel prématuré (pour cela : poursuivre le support des versions précédentes de nos logiciels, ou rendre notre code open source pour qu'il puisse être maintenu par d'autres !)
Et vous, vous avez des idées ? Envoyez-les-nous !
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Pour investiguer
15 minutes à 1 heure d'approfondissement
Pour continuer à explorer ce sujet, on vous conseille :
En 10 minutes : cet article, intitulé « Les trois newbies qui voulaient calculer l'impact de leur site web », qui revient en toute humilité sur les pérégrinations de 3 développeurs et développeuses dans l'océan de la mesure d'impact environnemental ;
En 10 ou 35 minutes : cet entretien avec Alexandre Takacs, ou encore mieux, cette vidéo de son talk « Comment réduire l'impact de votre produit ? » qui met le doigt sur notre responsabilité environnementale en tant que Product Managers – mais pas que !
En 35 minutes : l'épisode de votre choix parmi la superbe production de « Techologie, le podcast qui tente de lier tech et écologie alors que tout les oppose ».
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Toute l'équipe vous souhaite une excellente lecture ! On vous retrouve pour la prochaine cause : « Pour une technologie plus diverse ».
Cette série d'articles fait partie d'un parcours d'initiation à la Tech for Good que nous animons chaque mois. Pour vous y inscrire et échanger avec d'autres personnes qui réfléchissent à ces sujets, on vous donne rendez-vous ici.